
“Depuis que je code chez moi, j’ai mal partout” : l’envers du décor du télétravail dev
Tom, développeur fullstack, pensait avoir décroché le jackpot avec le télétravail. Trois ans plus tard, son médecin lui prescrit des séances de kiné. Il n’est pas le seul.
“Au début, c’était génial”, raconte Lisa, développeuse React depuis son salon parisien. “Fini les trajets, les open spaces bruyants, les collègues qui viennent te voir toutes les 5 minutes. Juste moi, mon code et ma playlist Spotify.”
Sauf que trois ans plus tard, Lisa a développé une tendinite au poignet droit. Tom, lui, ne peut plus tourner la tête sans grimacer. Et Sarah, freelance sur Upwork, avoue avoir pleuré devant son écran la semaine dernière, submergée par la charge mentale.
Ils font partie des milliers de développeurs européens qui découvrent la face sombre du télétravail. Une réalité que l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail vient de documenter dans une étude qui fait froid dans le dos.
Quand ton corps crie “erreur 404”
Le constat est brutal : nos corps ne sont pas conçus pour rester 10 heures par jour sur une chaise de cuisine face à un écran 13 pouces.
Marc, développeur Python, résume avec ironie : “J’ai optimisé mon code, mais j’ai oublié d’optimiser ma posture.” Résultat ? Une lombalgie chronique à 28 ans.
Les troubles musculo-squelettiques (TMS) explosent chez les devs en télétravail. Cervicales, poignets, dos… nos corps accumulent les bugs physiques pendant qu’on débugge notre code.
Le piège du “setup provisoire” : combien d’entre nous ont installé leur ordinateur portable sur la table de la cuisine “juste pour quelques semaines” en mars 2020 ? Trois ans plus tard, on y est encore.
L’algorithme qui nous surveille (et nous stresse)
Mais le plus pervers, c’est invisible. Les plateformes comme Upwork, Freelancer ou même les outils internes des entreprises nous fliquent en permanence.
“Mon écran se capture toutes les 10 minutes”, confie Alex, développeur mobile sur une plateforme de freelancing. “Si je prends une pause trop longue, ça impacte mon score. Du coup, je me retiens même d’aller aux toilettes.”
Cette surveillance algorithmique crée un stress constant que les experts appellent “techno-stress”. Imaginez : être jugé par un robot sur votre productivité, 8 heures par jour.
Seuls face à l’écran
“Parfois, je passe 3 jours sans parler à un humain”, avoue Camille, développeuse backend en full remote. L’isolement social frappe dur dans notre métier déjà introverti.
Les daily meetings Zoom ne remplacent pas les conversations de machine à café. Et quand un bug résiste depuis 4 heures, impossible de demander un coup de main au collègue d’à côté.
L’étude européenne est formelle : les développeurs en télétravail rapportent des niveaux d’anxiété et de dépression plus élevés que leurs collègues en présentiel.
Le paradoxe du secteur tech
Nous qui créons les outils de demain, nous sommes les premiers à en subir les effets pervers. L’ironie est amère : les artisans de la révolution numérique deviennent ses premières victimes.
“On optimise l’expérience utilisateur de nos apps, mais on a oublié notre propre expérience de travail”, philosophe Julien, lead dev dans une startup.
Comment sauver sa peau (et son code)
Heureusement, des développeurs s’organisent et partagent leurs solutions :
La règle des 20-20-20 : toutes les 20 minutes, regarder un objet à 20 mètres pendant 20 secondes. “Ça sauve mes yeux”, confirme Marie, dev frontend.
Le setup ergonomique DIY : “J’ai investi 300€ dans un écran externe et un clavier. Meilleur investissement de ma vie”, témoigne Romain.
Les pauses imposées : utiliser des apps comme Stretchly qui forcent les pauses. “Mon timer me force à bouger, sinon je pourrais coder 12h d’affilée”, rigole Sophie.
Les coworking days : se retrouver entre devs freelances dans des espaces partagés. “Une fois par semaine, je retrouve la dimension sociale du boulot”, explique Kevin.
Vers un futur plus humain ?
Certaines plateformes commencent à réagir. GitLab propose des formations bien-être, Buffer a instauré des “mental health days”, et des startups développent des outils de monitoring du bien-être.
La campagne européenne 2023-2025 “La sécurité et la santé au travail à l’ère numérique” pousse d’ailleurs les entreprises tech à repenser leurs pratiques.
“Le burnout coûte plus cher qu’un bon setup ergonomique”, calcule Pierre, CTO d’une scale-up qui rembourse maintenant le matériel de télétravail.
Le code de demain sera-t-il plus humain ?
Lisa a finalement investi dans un bureau assis-debout. Tom fait du yoga entre deux sprints. Sarah a rejoint une communauté de freelances pour briser l’isolement.
Ils restent passionnés par leur métier, mais ont appris une leçon cruciale : prendre soin de la machine la plus importante de toutes… nous-mêmes.
Car après tout, le meilleur code du monde ne vaut rien si celui qui l’écrit finit sur le carreau.
Cet article s’appuie sur l’étude “Risques pour la santé et la sécurité au travail liés au travail de programmation informatique à distance” publiée par l’EU-OSHA en 2022, ainsi que sur de nombreux témoignages de développeurs européens.